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Fintech des idées – Impressions sur le forum 2023 sur la fintech inclusive à Kigali

par Sabine Mensah, Directrice générale adjointe AfricaNenda - 20 juillet 2023

Les remarques liminaires de Tidjane Thiam, président de Rwanda Finance Limited, étaient particulièrement inspirantes. Il a tout d’abord énuméré les dix plus larges capitalisations boursières du monde selon The Motley Fool : Apple, Microsoft, Saudi Arabian Oil, Alphabet (Google), Amazon, Nvidia, Tesla, Berkshire Hathaway, Meta et Taiwan Semiconductor Manufacturing. Il a ensuite relevé un élément à prendre en compte dans notre quête d’innovation et de croissance sur le continent africain : la plupart de ces géants ont d’abord été de petites et moyennes entreprises (PME) avec de grandes idées, qui se sont nourries d’innovation pour conquérir les importantes parts de marché qu’on leur connaît aujourd’hui.

Quel est donc le rapport avec l'Afrique ?

Si nous souhaitons stimuler la croissance des entreprises locales, nous devons construire un environnement commercial solide dans les pays, et encourager les pouvoirs publics à investir lourdement dans les PME de leur territoire. Pour Tidjane Thiam, le reste suivra : « C’est le début d’une croissance fantastique en Afrique […]. Le XXIe siècle sera le siècle africain ! », a-t-il déclaré. Ce sentiment est partagé par le président de la Zambie, Son Excellence Hakainde Hichilema, qui a soutenu que « pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de notre peuple, nous devons développer les marchés et laisser nos entreprises croître ». Je m’adresse donc à tous les entrepreneurs et à toutes les entrepreneuses d’Afrique : l’heure est à la mesure, à l’apprentissage et à l’adaptation des produits, des services et des solutions pour qu’ils répondent aux besoins des marchés africains.

Il a été rafraîchissant d’entendre les discours de régulateurs venus de Singapour et du Rwanda, lors des discussions parallèles sur les politiques publiques. Ces personnes ont reconnu que ce n’est pas aux pouvoirs publics ou aux régulateurs d’innover. Il leur incombe plutôt de créer un environnement juridique, réglementaire, financier et éducatif favorable à une innovation foisonnante. Les bacs à sable réglementaires sont un moyen pour les fintech d’expérimenter de manière proactive tout en étant surveillés par les régulateurs. Les lettres de non-opposition permettent également de mettre au point des solutions innovantes sur un marché avant l’imposition de toute réglementation. Cette ouverture d’esprit de la part des régulateurs a permis la naissance de MPesa au Kenya et son développement dans d’autres pays. Les débats ont par ailleurs porté sur les principales difficultés liées à la fintech inclusive, comme le manque d’harmonisation des politiques et réglementations, de même que le capital insuffisant et le déficit de compétences. Les pouvoirs publics doivent investir dans les infrastructures numériques publiques, en mettant à profit des partenariats public-privé afin de poser les bases numériques nécessaires à la communauté fintech pour mettre en place des solutions centrées sur les clients, et ce, jusqu’au « dernier kilomètre ». C’est ainsi que l’on pourra atteindre une économie numérique inclusive.

La population africaine est la plus jeune du monde. Investir dans les compétences numériques et les systèmes éducatifs pour former la prochaine génération, intrinsèquement numérique, est donc un pari gagnant pour la prospérité. En droite ligne des ambitions de la Zone de libre-échange continentale africaine, une collaboration plus étroite entre les régulateurs et les décideurs publics est impérative aux niveaux national, régional et continental, pour que l’Afrique harmonise ses politiques et réglementations. Le président du Rwanda, Son Excellence Paul Kagame a déclaré : « Nous devons forger des partenariats plus solides si nous voulons une transformation numérique plus équitable, plus accessible et plus durable. »

Enfin, j’ai apprécié les débats sur les infrastructures numériques publiques, le capital à l’appui des politiques et les fintech durables. Il n’existe aucun doute sur le fait que l’innovation a déjà permis d’obtenir plusieurs solutions mobiles ayant favorisé l’inclusion financière sur le continent. Le rapport Global Findex de 2021 indiquait que 33 % des adultes en Afrique subsaharienne possédaient déjà un compte d’argent mobile. Cependant, plusieurs prérequis doivent être respectés si l’Afrique entend pleinement tirer parti de la fintech :

  • - Du point de vue des infrastructures numériques publiques, un accès généralisé à une bonne connectivité et à des données abordables est crucial. Des systèmes d’identification numérique fonctionnels et, bien entendu, des systèmes de paiement inclusifs ainsi que des plateformes d’échange de données interopérables doivent être en place.
  • - Du point de vue du capital, il convient de créer des marchés durables de la dette en devise locale, afin de pouvoir financer la croissance du secteur fintech. Les banques et fonds de pension doivent investir dans les innovations nationales et régionales en Afrique. En outre, il convient d’envisager la mise en place d’un fonds de recherche et de développement pour les fintech.
  • - Enfin, s’agissant des politiques, le mot d’ordre est l’harmonisation. Posons-nous les bonnes questions : quelles politiques et réglementations adopter ? Quand ? Attribuer des licences ou des passeports aux fintech stimulera probablement la concurrence sur les marchés et engendrera un plus grand nombre de solutions transfrontières. Il convient aussi de tourner notre attention vers l’utilisation des infrastructures du cloud. Selon Robert Ochola, président-directeur général d’AfricaNenda : « Le juste milieu serait de conserver les données client localement dans le pays, mais de les traiter dans le cloud. »

Nous sommes tous d'accord qu'il faudra la participation de tous pour y arriver. La collaboration est essentielle et la manière dont nous cimentons la collaboration entre les fintechs, les régulateurs, les décideurs politiques, les détenteurs de capitaux et les facilitateurs de l'écosystème est primordiale. Je souscris pleinement à la déclaration de Ravi Menon, directeur général de l'Autorité monétaire de Singapour, qui a noté que "...ensemble, nous pouvons façonner un avenir où la technologie et la finance convergent pour créer une Afrique plus prospère, plus dynamique et plus inclusive".

Vivement la prochaine édition de l'IFF à Kigali !


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2 août 2023 / Sabine Mensah, Directrice adjointe AfricaNenda
La confiance avant tout!
En 2022, le rapport d’AfricaNenda intitulé L’état des systèmes de paiement instantanés et inclusifs en Afrique a mis en lumière la façon dont les systèmes de paiement instantanés et inclusifs (SPII) sont devenus des outils puissants pour l’adoption et l’utilisation des paiements numériques. Ils permettent en effet de réduire les coûts des transactions quotidiennes et de renforcer leur sécurité. Le rapport SPII 2023 devrait paraître en novembre prochain. Il s’appuiera sur ces fondements et proposera des méthodes concrètes pour stimuler l’adoption et l’utilisation des paiements numériques. Les opérations de paiement et les transferts d’argent sont des éléments quotidiens de nos vies. Pourtant, le dernier rapport Global Findex de la Banque mondiale révèle que 45 % des adultes d’Afrique subsaharienne ne font encore aucune transaction numérique. Des progrès ont certes été constatés, mais il est crucial de comprendre quels sont les obstacles à l’adoption des paiements numériques si l’on souhaite généraliser leur utilisation et améliorer leur efficacité, au-delà des transactions occasionnelles. En 2021, non moins de 16 milliards de transactions ont été effectuées en Afrique, à travers 29 systèmes de paiement instantanés (SPI) existants. Leur montant cumulé atteignait presque 1 000 milliards de dollars. Notons que le taux de croissance annuel du volume des transactions depuis 2018 est de 32 %. La croissance rapide observée ces dernières années montre à quel point l’infrastructure de paiement instantané peut être transformatrice dans le parcours de l’Afrique vers une numérisation inclusive. Le rapport SPII est fondé sur une meilleure compréhension du comportement des consommateurs concernant l’accès et l’adoption des paiements numériques. En 2022, AfricaNenda a mené une étude poussée impliquant des particuliers et des micro-, petites et moyennes entreprises dans sept pays : l’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Nigéria, la République démocratique du Congo (RDC), la Tanzanie et la Zambie. Malgré leurs contextes différents, ces pays partageaient un point commun, à savoir une adoption non linéaire des paiements numériques. Les personnes qui ont déjà adopté ces systèmes sont d’accord sur le fait qu’ils offrent de multiples avantages : réduction des coûts, plus grande simplicité pour les transactions à distance et réduction des risques liés aux espèces, notamment la contrefaçon et le vol. Elles saluent en outre la traçabilité et la visibilité des paiements numériques. En revanche, de nombreux consommateurs sont confrontés à des obstacles persistants, comme le fait de ne pas posséder de téléphone mobile, la couverture insuffisante du réseau, l’accès limité à des agents ou à des établissements de retrait et de dépôt, mais aussi les risques de fraude. L’étude auprès des consommateurs de 2022 a fait ressortir trois groupes de pays. En premier lieu, les pays émergents, comme le Nigéria, la Tanzanie et la Zambie, qui font face à des taux d’adoption faibles à modérés. Le deuxième groupe est celui des systèmes naissants, qui comprend des pays tels que l’Égypte et la RDC. L’adoption et l’utilisation courante des paiements numériques y sont relativement faibles. Enfin, le troisième groupe est celui des pays comme le Kenya et le Ghana, qui ont réussi à obtenir des niveaux d’adoption et d’utilisation élevés.