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Cap-Vert : Entre promotion des paiements numériques et résilience de l’argent liquide

par Jamelino Akogbeto, Directeur Régional pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre - 7 février 2024

Les experts en paiement numérique sont unanimes : un écosystème financier bien structuré optimise l’utilisation des produits et services bancaires. En favorisant l’inclusion financière et les transactions numériques, un pays peut réduire l’utilisation de l’argent liquide et bénéficier ainsi de la sécurité, de l’efficacité et de la transparence accrues d’une économie « sans espèces ». Pourtant, des forces contraires font barrage à la numérisation.

Le Cap-Vert renforce son secteur bancaire depuis ces 10 dernières années, afin d’accroître et d’améliorer les services offerts à ses 483 628 habitants. La Banque du Cap-Vert, la banque centrale du pays, a lancé des initiatives solides destinées aux sept banques nationales, à l’instar de l’automatisation des systèmes, des instruments de paiement et un d’un cadre réglementaire favorable. La prévalence des paiements par carte, y compris American Express (une carte internationale moins utilisée en Afrique que VISA et Mastercard), a bondi et représente désormais 86 % des paiements numériques. Ses 2 179 terminaux de point de vente (« PDV ») pour 100 000 habitants ont permis de réaliser plus de 36 000 000 transactions en 2022, un nombre considérable au regard de la population totale, comparé à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (« UEMOA ») où, selon la BCEAO [1], 13 999 cartes ont été émises en 2021 pour une population totale de 141,7 millions d’habitants. L’instauration d’un environnement de paiement numérique contribue à promouvoir l’orientation stratégique du gouvernement en matière de tourisme.

Néanmoins, l’argent liquide règne encore en maître au Cap-Vert. Les longues files d’attente aux distributeurs automatiques (« DAB ») et les rapports indiquant que 31,7 % de l’économie est encore informelle mettent en exergue l’utilisation persistante de l’argent liquide dans les entreprises informelles. Malgré la gratuité des paiements numériques pour les clients et les commerçants, l’attachement à l’argent liquide reste profond. Pourquoi ?

Voici cinq éléments clés qui influencent la prévalence de l’argent liquide au Cap-Vert:

  1. L’importance de la culture de l’argent liquide: L’argent liquide revêt une importance culturelle considérable en Afrique, y compris au Cap-Vert, où les habitants l’associent à un sentiment d’assurance et de garantie que d’autres instruments de paiement pourraient ne pas offrir ;
  2. Une expérience client limitée :Les consommateurs rencontrent des difficultés pour ouvrir des comptes bancaires (qui sont les seuls canaux disponibles pour effectuer des paiements numériques) et pour se frayer un chemin dans un parcours client fastidieux (p. ex. saisir 20 chiffres pour un numéro de compte bancaire sur un téléphone portable). Cette inefficience amoindrit l’avantage concurrentiel des paiements numériques par rapport à l’argent liquide ;
  3. Une économie informelle tenace: Malgré les mesures dynamiques que le gouvernement a prises pour intégrer les petites et moyennes entreprises (« PME ») dans l’économie formelle, le taux d’informalité de 31,7 % du Cap-Vert reste inférieur à la moyenne de la région de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (« CEDEAO »). Ces commerçants privilégient les transactions en espèces par rapport aux canaux numériques, en raison d’une motivation insuffisante pour accroître la transparence de leurs activités ;
  4. Manque de compétences numériques : Si les compétences numériques au Cap-Vert semblent supérieures à celles des autres pays d’Afrique de l’Ouest, il est encore possible d’améliorer le niveau des capacités numériques des segments vulnérables. De nombreux utilisateurs de smartphones n’ont pas les compétences nécessaires pour effectuer avec aisance des transactions de bout en bout.
  5. Modèle économique et retraits aux DAB: Les retraits aux DAB à l’aide de cartes locales sont gratuits, sans oublier que le réseau de DAB est vaste (59 guichets pour 100 000 habitants), ce qui rend l’argent liquide abordable et pratique, avec à la clé un renforcement de son utilisation.

Pour répondre à l’appétit pour l’argent liquide et promouvoir les paiements numériques au Cap-Vert, il faudra surmonter ces éléments en suivant les recommandations ci-après:

  • Renforcement du système de paiement : améliorer l’expérience client en rendant les transactions inclusives et instantanées. Impliquer les institutions non bancaires dans le marché ;
  • Campagnes d’éducation numérique: lancer des campagnes de formation des commerçants et des utilisateurs finaux, en particulier ceux de l’économie informelle, à l’utilisation des téléphones mobiles et aux paiements numériques ;
  • Favoriser les paiements numériques dans l’économie informelle : mettre en place et promouvoir des incitations gouvernementales pour encourager les acteurs de l’économie informelle à formaliser leurs activités ;
  • Encourager les paiements par le biais des canaux numériques : élaborer des incitations pour les clients (cashback ou promotions, programmes de fidélité, etc.) afin de concurrencer les paiements en espèces.

AfricaNenda a établi un partenariat avec la Banque centrale du Cap-Vert pour contribuer au renforcement de l’écosystème de paiement. Il s’agit là d’une excellente occasion de tester certaines de ces recommandations. Les leçons tirées du marché du Cap-Vert peuvent aider les autres pays d’Afrique de l’Ouest à améliorer leur écosystème de paiement numérique.

[1] Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, Tableau de bord annuel de la monétique régionale de l’UEMOA, 2021.


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