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Première partie : identifier les lacunes des petites et moyennes entreprises en matière de paiements numériques en Afrique

par Sabine Mensah, Directrice générale adjointe - 12 septembre 2024

Saviez-vous que seuls 35 % des paiements reçus par les petites et moyennes entreprises d’Afrique subsaharienne sondées avaient été effectués par voie numérique ?

Alors que bon nombre d’entre nous sortons machinalement notre carte ou notre téléphone portable pour payer un bien ou un service, nous prenons souvent l’acceptation de ces modes de règlement par les entreprises pour acquis. Les données issues de l’enquête menée par la Banque mondiale auprès des entreprises révèlent que seulement 35 % des paiements reçus par les petites et moyennes entreprises (« PME ») d’Afrique subsaharienne ont été effectués par voie numérique. Selon l’étude qu’AfricaNenda a réalisée auprès des utilisateurs finaux pour préparer son rapport annuel intitulé L’état des lieux des paiements instantanés inclusifs en Afrique (« Rapports SIIPS »), nombreux sont les commerçants à ne pas accepter les paiements numériques ni même à l’envisager à l’avenir, et ce, pour diverses raisons.

Les modes de paiement acceptés par les PME doivent faire l’objet d’une attention accrue, c’est notamment l’un des grands thèmes qui ressort de l’événement « Visa Payment Forum » auquel j’ai participé, qui s’est tenu à Istanbul du 14 au 16 mai 2024. Même s’il a eu lieu il y a plusieurs mois déjà, les défis évoqués n’en restent pas moins d’actualité. Les experts de la finance et du développement du continent africain sont très sensibles à la nécessité d’une plus grande inclusion des plus de 400 millions d’adultes africains sans compte à ce jour, que ce soit auprès d’une banque ou d’un fournisseur d’argent mobile. Les millions de PME africaines qui n’ont pas, ou peu, accès aux services financiers formels représentent un défi connexe, qui vient à certains égards, encore un peu plus compliquer la donne. Les PME, qui selon les estimations représentent 80 % des pourvoyeurs d’emplois sur le continent (y compris les travailleurs indépendants et les propriétaires d’une petite entreprise), constituent un important moteur de la croissance économique. Elles méritent dès lors qu’on leur accorde plus d’attention. Dans une économie de plus en plus dématérialisée, l’acceptation des paiements numériques par les PME se révèle un facteur essentiel à leur capacité à se développer, à être compétitives et à tirer parti des solutions financières intégrées pour accéder au financement.

À l’occasion de l’événement organisé par Visa, de nombreux obstacles à l’inclusion des PME ont été soulevés. Toutefois, trois questions d’ordre systémique, qui impliquent trois acteurs distincts, ont particulièrement trouvé écho en moi s’agissant du continent africain : le manque de connectivité aux réseaux d’électricité, de télécommunications et de transport, le manque d’expertise du secteur financier à l’égard des PME pour évaluer de manière compétente le risque de crédit associé et le manque de littératie numérique parmi les propriétaires et dirigeants de PME. Passons-les en revue une par une.

1. Le manque de connectivité aux services publics

Durant les discussions portant sur les possibilités permettant de rendre les services financiers accessibles à tous en Afrique, nous parlons beaucoup de la nécessité d’une infrastructure de paiement numérique généralisée, y compris des systèmes de paiement instantané inclusifs, qui font partie intégrante de l’infrastructure publique numérique (« IPN ») essentielle. Mais pour de très nombreux habitants du continent africain, cette infrastructure n’est pas encore une réalité. Plus précisément, selon la Banque mondiale, moins de la moitié des Africains (43 %) disposent d’un accès fiable à l’électricité. Et la proportion est encore plus faible concernant l’accès à un réseau de transport fiable. Selon les estimations de la Banque mondiale, ces facteurs peuvent à eux seuls augmenter les coûts de production à concurrence de 40 % en Afrique, ce qui n’est pas sans conséquence pour la compétitivité des PME. La GSMA estime quant à elle que près de 45 % d’Africains ont accès aux réseaux mobiles.

Le manque d’infrastructure est préjudiciable aux entreprises. En effet, en l’absence d’un raccordement fiable au réseau électrique, elles ne sont pas en mesure d’investir dans des produits périssables ni d’assurer des horaires d’ouverture fixes. Dans le même ordre d’idée, en l’absence de transports, les entreprises ne peuvent pas se faire livrer de marchandises, et les employés comme les clients ne peuvent se rendre dans leurs locaux ou boutiques. Enfin, l’absence d’accès aux réseaux mobiles empêche les entreprises de proposer à leurs clients de payer par voie numérique, du fait de l’instabilité des connexions. Elles ne peuvent en outre pas non plus assurer la promotion de leurs services sur Internet ni communiquer des informations utiles sur leur activité. Et même dans les zones couvertes par les réseaux mobiles, la connexion peut s’avérer instable. L’étude menée auprès des utilisateurs finaux pour préparer le Rapport SIIPS a révélé que les PME et leurs clients avaient souvent connu des déboires avec des paiements interrompus.

2. Le manque d’expertise du secteur financier

À mes débuts en tant qu’analyste financière en charge de la gestion des facilités de prêt à court terme octroyées aux PME au sein d’une banque commerciale au Burkina Faso, ces clients étaient considérés comme des profils à risque. Bien souvent, les fournisseurs de services financiers manquent d’informations sur les PME pour pouvoir évaluer correctement les risques de manière différenciée. Les chargés de prêts ne comprennent pas véritablement l’activité de l’entreprise en elle-même. Les entrepreneurs ne sont souvent pas en mesure de présenter un historique de transactions sur lequel fonder les décisions en matière de risque de crédit. Ils n’ont pas non plus de garantie à offrir pour couvrir le risque qu’ils font encourir aux organismes de prêt. Et la liste est longue.

Ce défi a été mis en évidence lors du dîner du forum. Je me trouvais alors à côté d’un cadre d’une banque commerciale du Zimbabwe, et nous avons discuté de la difficulté d’accorder des crédits aux PME. Il m’a révélé que les institutions étaient confrontées à des contraintes importantes pour développer leurs opérations et moderniser les capacités technologiques nécessaires à l’adoption de nouvelles méthodes d’évaluation des risques fondées sur des données.

Malgré l’émergence de méthodes consistant à exploiter des données alternatives pour créer des profils de risque de crédit innovants, la plupart des organismes de prêt traditionnels continuent de suivre les mêmes approches de l’évaluation des risques que j’ai connues au début de ma carrière. Selon la Société financière internationale, ce phénomène contribue au manque de financement auquel les PME africaines sont confrontées, dont le montant est compris entre 136 et 170 milliards USD. Si la donne ne change pas, de plus en plus de PME resteront exclues des financements formels en Afrique.

3. Le manque de littératie numérique des entrepreneurs

Si les propriétaires et dirigeants de PME n’ont quasi aucune influence pour que les grands projets d’infrastructure atteignent leurs communautés, ceux qui y ont accès doivent quant à eux disposer des compétences et de la confiance nécessaires pour utiliser les plateformes numériques.

Oliver Jenkyn, Président du segment Global Markets chez Visa Group, a soulevé ce fait lors de son allocution à propos de l’impact des mégatendances sur l’avenir des paiements. Il a fait savoir que l’accélération de l’innovation technologique et de son adoption avait apporté plus de changements dans le secteur des paiements ces cinq dernières années qu’au cours des 50 précédentes. Combiné au développement exponentiel de la technologie mobile en Afrique, ce phénomène a drastiquement transformé l’environnement opérationnel des PME en quelques années seulement. De nouveaux comportements et de nouvelles compétences sont donc nécessaires, parmi lesquelles figure l’adaptabilité, car le rythme du changement ne ralentit pas. En effet, bon nombre des compétences nécessaires aujourd’hui seront obsolètes dans cinq ans. On observe déjà d’importantes lacunes à cet égard dans les formations en entrepreneuriat dispensées en Afrique. Selon la Banque africaine de développement, seuls 5 à 10 % environ des salariés d’Afrique subsaharienne ont reçu une formation professionnelle.

Ces défis (et d’autres) ont des effets aggravants sur la capacité et la volonté des propriétaires et dirigeants de PME à passer de l’informel au formel, sans parler de la transition vers le tout-numérique, dont l’adoption des transactions numériques. Compte tenu du rôle essentiel que les PME jouent dans leurs économies respectives, mais aussi de l’opportunité qu’elles présentent pour les fournisseurs de systèmes de paiement, cela vaut la peine de creuser le sujet et de chercher à réduire ces obstacles.

Je vous soumettrai quelques idées dans la deuxième partie de cette série d’articles.


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