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Deuxième partie : comment pallier les lacunes des petites et moyennes entreprises en matière de paiements numériques en Afrique

par Sabine Mensah, Directrice générale adjointe - 17 septembre 2024

Comme l’a révélé le Visa Payments Forum de mai 2024 à Istanbul, les petites et moyennes entreprises africaines se trouvent à la croisée des chemins. Dans la première partie, nous avons exposé trois grands défis qui limitent l’inclusion financière des petites et moyennes entreprises (« PME ») en Afrique : le manque de connectivité aux réseaux d’électricité, de télécommunications et de transport, le manque d’expertise du secteur financier à l’égard des PME pour évaluer de manière compétente leur risque de crédit et le manque de littératie numérique parmi les propriétaires et dirigeants de PME.

Dans cette deuxième partie, je vous propose trois stratégies concrètes permettant aux institutions financières et aux décideurs politiques de combler les lacunes en matière de paiements numériques qui freinent la croissance des PME en Afrique.

Suggestion no 1 : connaître et comprendre la PME

Il y a quelques années, j’ai travaillé sur un projet en Afrique de l’Ouest avec l’un des principaux fournisseurs d’argent mobile. J’étais chargée de mener une étude auprès d’une petite centaine de PME, afin de déterminer ce qui les inciterait à adopter l’argent mobile.

Ce que nous avons surtout retenu de cette étude, c’est que les PME ne se souciaient pas le moins du monde de l’application de paiement du fournisseur. Elles étaient en effet confrontées à des défis de plus grande ampleur, comme la nécessité de gérer les besoins en fonds de roulement, d’évaluer l’état réel de leurs finances et d’appréhender et gérer le calendrier et le volume de leurs entrées (clients) et sorties de trésorerie (fournisseurs).

Avec le recul, je me rends compte que le fournisseur d’argent mobile a commis l’erreur commune de commencer par concevoir un produit, puis d’essayer de convaincre le client qu’il en avait besoin. S’il avait commencé par comprendre le client et se mettre à sa place, il aurait développé un produit qui aurait remédié aux problèmes que le groupe de PME cible cherchait désespérément à résoudre, des problèmes plus urgents que de savoir réaliser des paiements sur un terminal.

En s’attachant à véritablement comprendre la réalité des PME, les institutions financières pourront élaborer des solutions qui non seulement répondent aux besoins immédiats, mais aussi qui dotent les PME des outils nécessaires pour assurer une croissance durable et leur compétitivité sur le marché. À cette fin, il est essentiel de ne pas se cantonner à la conception et aux fonctionnalités du produit, mais de se concentrer également sur les comportements et les pratiques. Les Africains sont portés par le mobile, dans tous les sens du terme. Pour certains, un téléphone portable est un smartphone. Mais pour de nombreux autres, il s’agit d’un téléphone basique. Pour trouver leur public, les solutions doivent tenir compte de cette réalité.

Les banques qui font l’effort de connaître et de comprendre les PME à qui elles s’adressent font de chacune d’elles une ambassadrice du numérique, car elles proposent des solutions pertinentes qui facilitent le quotidien des chefs d’entreprise. Et cela ne s’applique pas uniquement aux PME en contact avec leurs clients finaux, mais aussi à toutes celles de la chaîne d’approvisionnement, comme les grossistes, les distributeurs et les revendeurs.

Suggestion no 2 : intervenir au moment charnière entre besoins de financement et réception de paiements clients

Les contraintes en matière de fonds de roulement constituent le principal obstacle à la croissance des PME. Ce constat ressort clairement des données récemment publiées dans le cadre du projet de recherche Small Firms Diaries. Elles ont en effet révélé que la principale raison pour laquelle les entreprises kenyanes cherchent à obtenir un crédit est pour répondre à leurs besoins en fonds de roulement.

Et pourtant, selon le Groupe de la Banque africaine de développement (« AFDB »), près de 80 % des PME africaines peinent à accéder à des financements abordables, avec un manque d’accès aux crédits estimé à plus de 300 milliards USD. Les PME souhaitant se voir accorder un prêt de fonds de roulement cherchent à y recourir afin de pouvoir reconstituer leurs stocks lorsque les conditions sont plus avantageuses, indépendamment des ventes qu’elles réalisent ou anticipent. Par exemple, si le prix d’achat de denrées non périssables est moins élevé début septembre, l’octroi d’un prêt de fonds de roulement peut leur permettre d’acheter de grandes quantités de produits même si elles anticipent une stagnation des ventes jusqu’à la fin du mois d’octobre. L’incapacité à réaliser des achats stratégiques entrave la croissance et l’expansion.

Sachant cela, il a été très encourageant d’entendre les intervenants du Visa Payments Forum parler des tendances en matière de paiement susceptibles de contribuer à combler le fossé financier, en particulier l’émergence de solutions financières intégrées. Imaginez à quel point ces solutions pourraient aider les PME à faire face aux défis posés par la question du fonds de roulement. Nous savons de manière empirique que les PME pourraient y remédier en permettant à leurs clients de les payer plus tard afin d’obtenir un report de paiement auprès de leurs fournisseurs. Cette approche s’apparente à une optimisation des délais de paiement, pour bénéficier d’un crédit informel.

L’accès des PME aux solutions financières intégrées dans leur chaîne d’approvisionnement permet de formaliser des accords qui existent déjà de manière informelle, et ce sans l’intervention d’institutions financières. En proposant des solutions financières intégrées, les institutions financières peuvent participer à la chaîne de valeur des PME, tout en leur offrant une plus grande sécurité financière. Cette transition est déjà à l’œuvre. Selon une nouvelle étude menée par IDC Financial Insight, 74 % des transactions numériques seront réalisées sur des plateformes non financières à l’horizon 2030.

L’engagement auprès des PME à l’intersection de l’octroi de capitaux et de la réalisation des paiements peut libérer de nouvelles opportunités de croissance, leur permettant dès lors de passer à l’échelle et de concurrencer à armes égales les grandes entreprises.

Suggestion no 3 : prôner un changement plus en amont dans la chaîne de valeur

Notre objectif, c’est que le système de paiement africain permette aux PME d’effectuer et de recevoir des paiements, et ce aux quatre coins du continent. Lors du Visa Payment Forum, Andrew Torre, Président régional de la zone CEMEA (Europe Centrale, Moyen-Orient, Afrique) de l’entreprise, a expliqué dans le détail l’opportunité inexploitée de faciliter les paiements interentreprises (« B2B ») transitant actuellement au sein de la région, estimés à 145 000 milliards USD.

Un défi de taille faisant toutefois obstacle à ces flux monétaires : le trop faible nombre de pièces d’identité émises par le gouvernement et l’indisponibilité des autres documents nécessaires pour satisfaire les exigences des processus de connaissance du client (de l’anglais Know your customer, « KYC ») et de diligence raisonnable à l’égard de la clientèle (de l’anglais Customer due diligence, « CDD »). En Afrique subsaharienne, 78 % des habitants âgés de plus de 15 ans disposent d’une pièce d’identité selon la base de données Global Findex et ID4D. Toutefois, ce taux connaît de fortes disparités d’un pays à l’autre. Pourtant nécessaires à l’identification et à l’authentification des PME pour assurer le paiement fluide d’achats en ligne, les identifiants numériques sont une denrée encore plus rare.

Ce problème ne se limite pas aux transactions locales, les paiements transfrontières ne sont pas épargnés. Tapotement, balayage, glissement ou encore clic, ces petits gestes sont omniprésents, et il devrait s’agir là du mode d’interaction entre les PME africaines et leurs clients locaux et internationaux. Les propriétaires et dirigeants de PME y aspirent de plus en plus, en particulier les plus jeunes, bien plus aguerris au numérique que leurs aînés.

Les programmes portant sur les identifiants numériques se trouvent au cœur des initiatives gouvernementales en matière d’infrastructure publique numérique. Le secteur financier a lui aussi un rôle important à jouer : préconiser des approches de l’identification qui s’intègrent aux plateformes financières (systèmes de paiement instantané compris) afin de contribuer à l’accélération des flux monétaires numériques.

Prôner des changements plus en amont dans la chaîne de valeur va non seulement faciliter l’adoption des paiements numériques, mais également doter les PME des outils leur permettant d’étendre leur portée, favorisant par la même occasion le développement économique des régions.

Et ensuite ?

Il ne s’agit là que de quelques suggestions qui pourraient contribuer à façonner une économie numérique favorable aux PME africaines. L’avenir que nous souhaitons pour les flux monétaires doit être ancré dans les réalités locales et prendre en compte les trois défis que j’ai évoqués dans l’article précédent, à savoir l’infrastructure, le financement basé sur la connaissance et les compétences numériques des entrepreneurs. Les opportunités sont légion, et pour les saisir il faut commencer par identifier les obstacles aux échanges d’argent vers et entre les vendeurs les plus couramment rencontrés.

J’exhorte les institutions financières et les décideurs politiques à s’approprier ces suggestions et à les traduire en actions concrètes. Qu’il s’agisse d’apprendre à mieux connaître les PME en menant des études de marché, de trouver des moyens de proposer des solutions financières intégrées à même de répondre à leurs besoins en capitaux ou encore d’encourager les systèmes d’identifiants numériques pour rendre les transactions plus fluides, votre implication est essentielle.


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