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Un moment décisif pour les infrastructures publiques numériques. Comment, sous l’impulsion de sa présidence du G20, l’Afrique du Sud peut-elle donner un coup d’accélérateur à ce programme ?
par Co-auteurs : Kay McGowan (Digital Impact Alliance), David Porteous (Integral: Governance Solutions), Sabine Mensah (AfricaNenda Foundation), Juliet Wangui Maina (Better Than Cash Alliance) et Daniel Abadie (CDPI) - 26 juin 2025

Les infrastructures publiques numériques (« IPN ») déploient leur plein potentiel lorsqu’elles sont ancrées dans les réalités locales, façonnées par les priorités nationales et mises en œuvre dans le cadre d’initiatives conduites par les différents pays eux‑mêmes. En adaptant l’IPN aux besoins locaux, les gouvernements peuvent garantir un accès inclusif et mettre en place des systèmes qui inspirent la confiance des citoyens. Parallèlement, la coopération internationale joue un rôle essentiel pour libérer le plein potentiel de l’IPN. Des normes communes, l’interopérabilité et la collaboration transfrontalière peuvent amplifier les avantages des systèmes nationaux, en facilitant les échanges commerciaux, la mobilité et la prestation de services numériques. À mesure que les pays adoptent une approche fondée sur l’IPN, de nouvelles perspectives se présentent pour poser les fondations de l’intégration régionale des marchés numériques. La coopération, tant au niveau national qu’international, est indispensable pour que la transformation numérique génère le maximum de bénéfices pour la population et stimule la croissance économique, tout en instaurant la confiance dans l’écosystème numérique.
Les deux dernières présidences du G20 (l’Inde en 2023 et le Brésil en 2024) ont confirmé qu’une coopération numérique mondiale était nécessaire et ont spécifiquement fait de l’expansion d’une IPN sûre et fiable une priorité. En 2023, l’Inde a justement mis à profit sa présidence du G20 pour établir le tout premier consensus multilatéral sur l’IPN, en reconnaissance de ses bénéfices pour la société. Le Brésil, à la tête du G20 en 2024, a quant à lui fait adopter une Déclaration conjointe sur l’infrastructure publique numérique, l’intelligence artificielle et les données au service de la gouvernance, reconnaissant davantage l’IPN comme un levier de développement économique et soulignant l’importance d’une gouvernance équitable des données.
Cette année, sous la présidence de l’Afrique du Sud au sein du G20, l’agenda relatif à l’IPN est axé sur la gouvernance intégrée et la mesure de la valeur publique. Le Groupe de travail sur l’économie numérique (« DEWG »), qui constitue le principal forum de discussion multilatérale sur l’IPN, a clairement exprimé son intention et son engagement à « examiner les différents aspects des politiques, de la réglementation et de la gouvernance des données nécessaires pour faire de l’IPN un véritable levier de transformation. ». Par ailleurs, le DEWG entend se projeter au-delà des traditionnels indicateurs relatifs à l’investissement numérique et s’attache à définir un cadre de mesure permettant de saisir les effets plus larges et dynamiques de l’IPN. Cet engagement offre à l’Afrique du Sud une base solide pour défendre une IPN digne de confiance et inclusive durant sa présidence de cette année.
La feuille de route nationale de l’Afrique du Sud en matière d’IPN pourrait donner une forte impulsion aux efforts du G20 dans ce domaine.
En partie grâce à l’élan impulsé par les récentes présidences du G20, un nombre croissant de pays adoptent désormais une approche fondée sur l’IPN pour mener à bien leur transformation numérique. Pourtant, chaque pays se trouve à un stade différent de sa transformation numérique et doit composer avec un enchevêtrement de systèmes numériques, de politiques et de réglementations existants ; dans ces conditions, la voie à suivre est rarement bien balisée.
L’Afrique du Sud est bien consciente de ce défi. Lorsque le pays a entrepris d’élaborer une stratégie IPN en 2024, les responsables gouvernementaux ont constaté qu’ils disposaient déjà de nombreux documents de politique numérique, visions et stratégies, sans qu’aucun ne définisse pour autant une orientation claire et intégrée, articulant une perspective alliant à la fois gains d’efficacité et inclusion accrue. De plus, le pays comptait déjà six plateformes d’échange de données et un nombre non précisé d’identifiants fonctionnels pour les comptes fiscaux, l’immatriculation des entreprises et d’autres services. Pour gérer le passage à une approche basée sur l’IPN dans un écosystème aussi fragmenté, le gouvernement a décidé de créer une feuille de route en matière d’IPN. Afin de garantir un processus inclusif et collaboratif, il a mis en place un groupe de travail interministériel, coprésidé par le Department of Communications and Digital Technologies (ministère sud-africain des Communications et des Technologies numériques, « DCDT ») et le National Treasury (Trésor national sud-africain). Un groupe international d’experts-conseils a apporté son concours aux travaux techniques.
La version sud-africaine de cette feuille de route en matière d’IPN a été lancée en mai 2025. Baptisé « Feuille de route de la transformation numérique », la Digital Transformation Roadmap, ce document prend en compte l’écosystème existant pour définir une voie claire et concrète de mise en œuvre. Il énonce une vision pour l’avenir du gouvernement numérique, recense les projets et jalons clés et précise les leviers nécessaires pour assurer un succès durable à grande échelle.
La Feuille de route en matière d’IPN a été conçue en concertation avec un large éventail de parties prenantes, dans le cadre d’une démarche itérative visant à garantir son alignement sur les priorités nationales. Ce processus consultatif a été déterminant pour instaurer la confiance entre les différents acteurs publics impliqués dans la transformation numérique de l’Afrique du Sud. Fait important, cette démarche de construction du consensus n’a pas seulement abouti à une feuille de route hiérarchisée : elle a aussi permis de mobiliser les ressources financières et politiques nécessaires à sa mise en œuvre.
Dans le cadre de son ambition, au sein du G20, de promouvoir l’IPN sur le continent, l’Afrique du Sud s’engage à aider d’autres pays à tirer les enseignements de son expérience. À cette fin, le gouvernement a encouragé nos organisations — toutes partenaires de la Fondation Gates et apportant actuellement leur appui à des initiatives IPN dans plusieurs pays africains — à élaborer un Guide de mise en œuvre d’une feuille de route en matière d’IPN.
Le Guide de mise en œuvre d’une feuille de route en matière d’IPN peut aider d’autres pays à élaborer leur propre approche globale de l’IPN.
Cette première version est un manuel pas à pas qui aide les pays à concevoir une feuille de route IPN personnalisée adaptée à leurs besoins. Il présente des bonnes pratiques, des stratégies visant à favoriser l’alignement interministériel dans la prise de décision relative à l’IPN et définit les principales étapes pour établir les priorités, jalons et calendriers nécessaires à la réalisation des objectifs de politique publique en matière d’IPN. Soumis en avril à la consultation des membres du DEWG du G20, le Guide se veut une ressource visant à aider les autres pays à comprendre comment intégrer leurs actifs numériques existants dans un plan d’action personnalisé et — point essentiel — à mobiliser un large soutien en faveur d’une démarche cohérente et coordonnée, tenant compte des divers intérêts concernés par la transformation numérique. S’adressant aux pays à différents stades de planification et de mise en œuvre de l’IPN, il aborde aussi bien les configurations dans lesquelles aucun système n’a encore été mis en place que celles où une modernisation du système est nécessaire pour l’intégrer dans une stratégie plus large.
Par ailleurs, le Guide permet de constater qu’il est nécessaire de faire appel à un large éventail d’acteurs pour élaborer une feuille de route : ministères, entreprises, organisations de la société civile et autres parties prenantes concernées. De cette manière, le processus d’élaboration devient un espace de concertation nationale, contribuant à instaurer le niveau de coopération nécessaire pour mettre en place une approche IPN qui maximise la création de valeur publique.
En présentant le Guide de mise en œuvre d’une feuille de route en matière d’IPN en concertation avec le DEWG du G20, l’Afrique du Sud et ses partenaires espèrent sensibiliser les pays susceptibles de tirer parti de cet outil pratique. Au fil des pages, les lecteurs comprendront qu’une bonne feuille de route ne remplace pas les visions et stratégies nationales existantes : elle s’appuie au contraire sur ces acquis et les relie à des approches opérationnelles.
En vue de perfectionner la prochaine édition du Guide, nous invitons les pays à à le mettre en œuvre à titre pilote, à partager leurs expériences et à contribuer à en enrichir le contenu, afin de garantir qu’il reste adapté aux besoins, pertinent et ancré dans les réalités pratiques. La prochaine version — enrichie des retours d’expérience des pays — sera notamment présentée à l’occasion du Global DPI Summit IPN en novembre 2025.
L’année 2025 marque pour l’Afrique un moment décisif pour capitaliser sur des dynamiques mondiales, continentales, régionales et nationales afin d’aboutir à une IPN centrée sur le citoyen.
Cette année marque non seulement la toute première présidence d’un pays africain au G20, mais aussi un moment où les pays et les communautés économiques régionales (« CER ») du continent intensifient leurs initiatives majeures dans le but de promouvoir une transformation numérique inclusive et de renforcer l’intégration économique à l’échelle africaine. Ces efforts prennent appui sur un socle solide, notamment grâce à des cadres structurants comme la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique 2020-2030 et le Protocole sur le commerce numérique de la ZLECAf de l’Union africaine. Ce moment charnière offre à l’Afrique l’occasion de montrer la voie concernant le pilotage d’une approche de l’IPN adaptée aux réalités africaines, accélérant ainsi la transformation numérique aux niveaux continental, régional et national.
Le Guide de mise en œuvre d’une feuille de route en matière d’IPN constitue un levier essentiel pour soutenir cet élan. Il établit les bases d’un échange entre pairs, permettant aux décideurs publics, aux acteurs de la société civile et aux représentants des principaux secteurs d’activité de partager leurs enseignements et de bâtir un consensus en faveur d’une IPN au service d’avancées tangibles pour les citoyens. Le Guide de mise en œuvre d’une feuille de route en matière d’IPN se voudra évolutif, intégrant les retours d’expérience issus de la diversité des initiatives nationales.
De nombreux défis restent à relever : renforcer la coopération, établir les bases d’une IPN transfrontalière, concrétiser les engagements politiques ou encore aboutir à un consensus autour d’un cadre commun d’indicateurs. Le rôle moteur de l’Afrique du Sud, au sein du G20 comme sur le continent, contribuera à catalyser ces travaux et à garantir que tous les Africains puissent bénéficier de la transformation numérique positive à venir.
Si vous souhaitez mieux appréhender l’élaboration d’une feuille de route en matière d’IPN et/ou contribuer à l’amélioration de la prochaine version du Guide, merci de prendre contact avec l’un des membres du consortium ci-dessous.
Les coauteurs font partie d’un consortium qui s’est réuni pour rédiger le « Guide de mise en œuvre d’une feuille de route en matière d’IPN », une initiative saluée par le gouvernement sud-africain, qui assure la présidence du G20 en 2025. Ce Guide réunit les contributions de nombreux experts-conseils, en particulier celles de Deon Woods-Bell, de la Fondation Gates, dont le soutien s’est révélé déterminant. Ce commentaire d’expert est publié sur les sites Internet respectifs de chacune des organisations.