Articles

Comment les paiements instantanés redessinent l’économie africaine

par Sabine F. Mensah, Directrice génrérale adjointe, AfricaNenda Foundation - 1 novembre 2025

Le lancement du Système de Paiement Instantané (PI - SPI) par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne représente pas seulement une avancée technologique : c’est le signal d’une nouvelle ère dans la circulation de la valeur sur le continent. En quelques secondes, une transaction peut désormais franchir les frontières, reliant des communautés et des entreprises autrefois freinées par le coût et la lenteur des transferts d’argent. Cette accélération pourrait redéfinir l’avenir économique de l’Afrique.

Depuis des décennies, les paiements transfrontaliers riment avec friction. Envoyer 200 dollars coûte encore en moyenne 7,9 %, selon la Banque Mondiale plus du double de l’objectif de 3% fixé par l’ONU dans les Objectifs de Développement Durable (ODD). Ces coûts élevés pèsent sur les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE), qui représentent plus de 90 % des emplois sur le continent. Résultat : un commerce limité, des opportunités restreintes et une progression ralentie vers la promesse d’un marché africain commun dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

Pourtant, une révolution silencieuse est en marche. Le PI - SPI de la BCEAO rejoint le Système de Paiement et de Règlement Panafricain (PAPSS, le SPI continental), le « Transactions Cleared on an Immediate Basis » (TCIB, le SPI d’Afrique Australe) et GIMACPAY (le SPI du Groupement Interbancaire d’Afrique Centrale, GIMAC) dans le développement d’infrastructures publiques numériques rendant les paiements transfrontaliers plus rapides, moins chers et plus inclusifs. Selon le rapport 2024 sur l’État des Systèmes de Paiement Instantané Inclusifs (SIIPS) d’AfricaNenda Foundation, 31 systèmes de paiement instantané (SPI) sont déjà actifs à travers le continent, dont trois permettent des paiements transfrontaliers en temps réel. La dynamique est bien réelle et elle s’accélère.

Améliorer les paiements transfrontaliers aura un impact transformateur, non seulement sur l’inclusion financière, mais aussi sur le commerce intra-africain, la compétitivité des TPE/PME et la croissance économique. Ce n’est pas simplement une question de technologie ou de standards de données : c’est une voie vers la prospérité partagée. La ZLECAf offre une occasion unique de stimuler le commerce intra-africain comme moteur du développement durable. Mais pour commercer, il faut pouvoir payer et être payé. Il est donc urgent de rendre les paiements transfrontaliers de détail instantanés, abordables et accessibles, pour les particuliers comme pour les TPE/PME.

Le leadership africain en matière de technologie mobile a déjà montré la voie. Un simple téléphone portable est devenu un puissant vecteur d’inclusion financière : selon le Findex 2025, 40 % des adultes africains possèdent aujourd’hui un compte de mobile money. Banques, opérateurs de mobile money, sociétés de transfert et fintechs proposent de plus en plus de solutions de paiement transfrontalier. Mais celles-ci restent fragmentées : les transactions interbancaires prennent encore plusieurs jours, et les frais demeurent trop élevés.

Les principaux obstacles sont d’ordre réglementaire et institutionnel. Les régimes d’agrément varient considérablement, les règles de conformité sont incohérentes, et les délais d’approbation peuvent atteindre trois ans. Pour les fintechs, moteurs de l’innovation nationale, l’expansion transfrontalière reste un parcours incertain et coûteux. Il est temps d’éliminer ces goulets d’étranglement.

Pour parvenir à une véritable intégration financière, l’Afrique doit adopter une approche continentale :

  1. Un régime de « passeport fintech » pour accélérer l’expansion des fournisseurs de solutions de paiement transfrontalier au-delà des frontières nationales ;
  1. Une harmonisation des standards e-KYC et de LCB/FT (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme) pour renforcer la sécurité, la rapidité et la transparence ;
  1. Une Directive panafricaine sur les services de paiement (DPSP), inspirée des PSD2 et PSD3 européennes, pour fournir un cadre commun favorisant l’interopérabilité et la fluidité des paiements à travers l’Afrique.

Cette transformation est déjà en marche. Le Protocole de la ZLECAf sur le commerce numérique en pose les bases politiques. La feuille de route du G20 sur les paiements transfrontaliers fournit un cadre mondial pour l’efficacité et la transparence. Ensemble, ils s’alignent sur l’ambition africaine : rendre les paiements plus rapides, moins couteux, plus sûrs et plus inclusifs.

Chez AfricaNenda Foundation, nous travaillons avec les banques centrales, les décideurs politiques, les opérateurs de SPI et les acteurs de l’inclusion financière pour transformer cette ambition en réalité. Nous accompagnons les gouvernements dans la conception et la mise à l’échelle de systèmes de paiement instantané inclusifs (SPII) grâce à l’assistance technique, au renforcement des capacités et à l’analyse de données. Nous encourageons l’apprentissage entre pairs, le partage d’expériences et la consolidation des écosystèmes afin que les SPII bénéficient à toutes et à tous : petites entreprises, agriculteurs, entrepreneures et communautés rurales.

Aller au-delà de l’argent liquide n’est pas seulement qu’un gain d’efficacité ; c’est un levier d’émancipation. Les SPII offrent aux femmes une plus grande autonomie financière, soutiennent l’expansion des TPE/PME et permettent aux zones rurales la possibilité de participer pleinement aux marchés nationaux et régionaux. Ils constituent l’infrastructure invisible d’une économie africaine plus dynamique, résiliente et autosuffisante.

Notre vision est ambitieuse mais réalisable : d’ici 2030, plus de 260 millions d’Africains supplémentaires devraient avoir accès à des SPII abordables. Pour y parvenir, il faudra mettre en place un cadre politique et réglementaire unifié garantissant une interopérabilité totale, reliant comptes bancaires, portefeuilles électroniques et systèmes de paiement instantané, au sein comme au-delà des frontières.

Les signes de progrès sont déjà visibles. La BCEAO montre la voie, la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) trace déjà son chemin, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) interconnecte ses systèmes et les pays d’Afrique de l’Est testent des liaisons bilatérales. Une fois interconnectées, ces initiatives dessinent l’architecture initiale d’un marché africain des paiements dignes du XXIᵉ siècle.

A l’approche du lancement du rapport SIIPS 2025, nous invitons tous les acteurs de l’écosystème financier à rejoindre ce mouvement. Les enseignements tirés sur les avancées, les obstacles et les opportunités serviront de feuille de route pour accélérer la marche de l’Afrique vers une économie numérique véritablement inclusive.

L’Afrique n’a jamais manqué d’ingéniosité. Elle a toujours su transformer les contraintes en innovations.


Partager cette page

Dernier blogs