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L’urgence de l’adoption de réglementations modernisées
par Sabine Mensah, Deputy CEO - 23 avril 2025
À l’ère du numérique, les économies modernes doivent disposer d’infrastructures de paiements de détail en temps réel, connues sous le nom de « systèmes de paiement instantané » (« SPI »), afin de faciliter les transferts d’argent rapides et fluides, aussi bien pour les transactions personnelles que pour les échanges commerciaux internationaux. Pour atteindre des objectifs socio-économiques tels que l’inclusion financière et la numérisation, les SPI doivent évoluer vers des systèmes de paiement instantané inclusifs (« SPII »), qui répondent aux besoins de tous les utilisateurs, y compris ceux disposant de connaissances financières ou numériques limitées et les petits commerçants locaux. Les réglementations favorables à l’innovation jouent un rôle clé dans cette transformation, car elles favorisent les avancées technologiques et l’adoption généralisée, garantissant ainsi que des infrastructures de paiement de pointe et inclusives à la fois. Dans cet article de blog, nous examinerons la manière dont des réglementations favorables peuvent libérer le plein potentiel des SPI, en particulier en Afrique.
Les SPI en Afrique deviennent de plus en plus inclusifs, mais des lacunes subsistent. Le Rapport 2024 sur l’état des lieux des systèmes de paiement instantané inclusifs (« SIIPS ») en Afrique d’AfricaNenda classe les SPI sur une échelle d’inclusivité à trois niveaux :
Élémentaire: le SPI offre des fonctionnalités limitées en matière de canaux et de cas d’utilisation.
Avancé : outre les critères du niveau « Élémentaire », ces SPI permettent à tous les fournisseurs de services de paiement (« FSP ») de participer (favorisant ainsi l’interopérabilité entre tous et permettant de prendre en charge un plus grand nombre de cas d’utilisation), le système repose sur une gouvernance favorable aux plus défavorisés, et la banque centrale y joue un rôle actif.
Mature: outre les critères des niveaux « Élémentaire » et « Avancé », ces SPI prennent en charge un nombre plus important de cas d’utilisation, prévoient des normes et des dispositions en matière de suivi pour les mécanismes de recours des consommateurs allant au-delà des exigences prudentielles, et leur coût est faible pour les utilisateurs.
À l’heure actuelle, 10 SPI africains ne sont pas classés, 12 relèvent du niveau d’inclusivité « Élémentaire » et 9 du niveau « Avancé ». Il s’agit là d’une évolution majeure par rapport à 2023, où 12 SPI n’étaient pas classés et où seulement cinq avaient atteint le niveau d’inclusivité « Avancé ». Malgré cela, les progrès restent lents, puisque la majorité des systèmes relèvent toujours du niveau d’inclusivité « Élémentaire » et aucun SPI n’a atteint le niveau « Mature » visé.

Des environnements réglementaires trop rigides freinent l’inclusivité des SPI. Les organismes de réglementation, les organismes de surveillance et les décideurs politiques ont une responsabilité commune pour promouvoir l’inclusivité des SPI. Ils sont responsables de l’élaboration et de l’application des réglementations, des politiques et des directives qui garantissent la sécurité et l’efficacité des SPI, et c’est dans cet environnement réglementaire que tous les autres acteurs, tels que les concepteurs, les opérateurs et les participants aux SPI, doivent opérer. Dans les faits, trouver cet équilibre s’avère plus facile à dire qu’à faire.
Deux exemples illustrent la manière dont des réglementations trop strictes entravent l’inclusivité : (1) limiter la portée potentielle des SPI en ne prévoyant pas de voie réglementaire permettant aux fournisseurs de services de paiement non bancaires d’y participer, et (2) ne pas autoriser l’utilisation d’innovations technologiques susceptibles d’accroître leur efficacité, d’étendre leur portée et de réduire les coûts d’exploitation.
Les fintechs : un combat de longue haleine pour intégrer directement les SPI. Les fintechs ont démontré leur capacité à trouver des moyens d’atteindre les populations peu ou mal desservies. À titre d’exemple, M-PESA a contribué à faire passer le taux d’inclusion financière du Kenya de 26 % en 2007 à 84 % en 2021 (OMFIF, 2024). Les fintechs ne sont toutefois que rarement autorisées à participer directement à un SPI. Ceci est en partie dû aux obstacles liés à l’octroi d’agréments. Les catégories d’agréments dont les fintechs peuvent relever sont souvent limitées et ne sont pas nécessairement adaptées à leurs services. Les réglementations complexes, les procédures longues et onéreuses combinées au manque de support alimentent l’incertitude réglementaire. Par conséquent, les fintechs peinent à mettre leurs atouts au service des SPI, qu’il s’agisse d’une meilleure accessibilité financière, d’une meilleure expérience utilisateur, de plus de diversité ou d’un meilleur accès. (CFA Institute, 2023). Cela se traduit par un nombre limité de nouveaux canaux, d’instruments et de cas d’utilisation proposés par les SPI.
La connaissance électronique du client (« e-KYC ») : un outil sous-estimé pour élargir la portée des SPI. Tous les FSP doivent soumettre leurs nouveaux clients à une procédure de connaissance du client (« KYC »)1. Cependant, les procédures KYC inflexibles et sur papier ont souvent pour effet d’exclure les groupes vulnérables : 37 % des adultes non bancarisés ne disposent pas des documents nécessaires pour ouvrir un compte bancaire, et 30 % sont confrontés à des obstacles similaires pour l’ouverture d’un compte d’argent mobile (Global Findex, 2021). L’eKYC, qui s’appuie sur des méthodes électroniques de vérification de l’identité, peut résoudre ces problèmes en remplaçant les procédures manuelles par des solutions plus efficaces et accessibles à distance. Les normes du GAFI, auxquelles de nombreuses banques se conforment, peuvent être mises en œuvre via l’eKYC, en raison de leur flexibilité et de leur neutralité sur le plan technologique. Pourtant, de nombreux organismes de réglementation continuent de classer les procédures utilisant les nouvelles technologies, telles que l’intégration à distance, dans la catégorie des procédures à haut risque (FATF, 2021). Cette réticence induite par la réglementation restreint la capacité des FSP à intégrer plus efficacement les clients et limite, en conséquence, leur capacité à élargir l’accès aux paiements instantanés.
Les outils réglementaires favorables à l’innovation peuvent renforcer et accélérer l’inclusivité. Les organismes de réglementation, les organismes de surveillance et les décideurs politiques ont la capacité de favoriser une meilleure inclusivité des SPI en adoptant des outils réglementaires propices à l’innovation. Parmi ces derniers, citons les éléments suivants :
Le recours à l’approche fondée sur les risques. En adoptant une approche fondée sur les risques pour les exigences en matière d’octroi d’agréments et de diligence raisonnable à l’égard de la clientèle, les organismes de réglementation pourraient mieux identifier et évaluer de manière empirique les risques liés à un type d’activité ou à un segment de clientèle donné. En ce qui concerne l’octroi d’agréments, une telle approche permettra aux organismes de réglementation de mettre à jour les catégories d’agréments pour y inclure les nouvelles activités, permettant ainsi à de nouveaux modèles économiques de se déployer sur le marché et de participer directement aux SPI. S’agissant des exigences de diligence raisonnable à l’égard de la clientèle, une approche fondée sur les risques permettra de mettre en place des procédures KYC adaptées, y compris des procédures eKYC, qui seront proportionnelles aux risques associés aux clients, facilitant ainsi l’intégration de nouveaux clients par les FSP.
L’intégration et/ou la mise en lien de la stratégie nationale d’inclusion financière et de la politique en matière de paiements numériques avec les SPI. Des documents d’orientation clés existent déjà dans la plupart des pays, mais ils ne sont pas systématiquement corrélés aux objectifs des SPI. Les associer aux SPI permettra d’aligner leurs objectifs et de faire de l’inclusion financière et des paiements numériques une priorité.
L’élaboration de directives réglementaires relatives aux procédures et aux considérations réglementaires. Les réglementations complexes et les approches vis-à-vis des tendances émergentes telles que l’e-KYC ont une forte incidence sur la stratégie commerciale des FSP. L’incertitude réglementaire et la rigidité des réglementations risqueraient, par exemple, de dissuader les FSP de se lancer, ce qui freinerait l’innovation. L’élaboration et l’introduction d’orientations réglementaires réduisent l’incertitude et encouragent l’innovation responsable.
Les réglementations favorables à l’innovation ne sont pas simplement un atout, mais un impératif pour assurer l’inclusivité dans le secteur des paiements. L’instauration d’un environnement réglementaire qui encourage les avancées technologiques, promeut une concurrence inclusive et améliore l’expérience des consommateurs peut contribuer à faire évoluer les SPI de sorte à leur permettre de répondre aux besoins actuels et nouveaux des utilisateurs finaux par le biais de canaux de paiement, d’instruments et de cas d’utilisation nouveaux et améliorés.
Les outils réglementaires évoqués ci-dessus ne sont que quelques-uns des catalyseurs d’inclusivité dont les organismes de réglementation doivent tenir compte. Pour en savoir plus sur les catalyseurs d’inclusivité et leur capacité à faire des SPI de puissants moteurs de croissance économique et d’inclusion financière, téléchargez le Rapport SIIPS 2024.