Articles
Les coupures de réseau pourraient constituer le principal obstacle à l’adoption des paiements numériques
par Sabine Mensah, Directrice générale adjointe - 20 janvier 2025

Imaginez que vous vous trouviez dans un marché bondé d’un pays d’Afrique, prêt(e) à régler vos achats de produits frais d’un simple clic sur votre téléphone. Cela devrait être possible sans accroc, n’est-ce pas? Et pourtant, tout ne se passe pas toujours ainsi pour Salimata, une habituée des marchés qui a récemment adopté les paiements mobiles numériques. Même si cela ne se produit pas lors de chaque tentative, elle a été confrontée à plusieurs reprises à des coupures réseau au moment de payer. Lorsque cela se produit, soit la transaction échoue, soit elle doit patienter pendant que le paiement est en attente, ou bien elle ignore si le paiement a bien été effectué.
En Afrique, la qualité des réseaux mobiles s’est nettement améliorée ces dernières années, si bien que 85 % de la population du continent y a désormais accès (GSMA, 2023). Les réseaux mobiles constituent la pierre angulaire des paiements numériques, mais à une condition: le réseau doit être stable.
Trop souvent pourtant, c’est bien là où le bât blesse. Dans le cadre du Rapport 2024 sur l’état des lieux des paiements instantanés inclusifs (« SIIPS ») en Afrique, AfricaNenda a interrogé des utilisateurs finaux en Algérie, en Éthiopie, en Guinée, à Maurice et en Ouganda afin de connaître leurs expériences en matière de paiements numériques. Dans tous ces pays, des personnes interrogées comme Salimata ont fait état des difficultés que causaient les réseaux mobiles peu stables pour réaliser des transactions numériques, un constat partagé par les personnes sondées dans le cadre du rapport Compelling Products, Unreliable Infrastructure (« Des produits attractifs, une infrastructure peu fiable », littéralement en français).
Dans les pays sondés, les propriétaires de petites entreprises et les particuliers déclaraient trouver les paiements numériques attrayants en raison de leur commodité, car ils permettent de gagner du temps et de réaliser des économies par rapport aux autres moyens de paiement. Contrairement aux espèces, ils ne sont pas exposés au risque de perte ou de vol, et ils permettent d’effectuer des transactions même lorsqu’on ne se trouve pas physiquement au même endroit que le destinataire.
Ces aspects pratiques incitent fortement les utilisateurs finaux à adopter les paiements numériques. Les propriétaires de petites entreprises affirment régulièrement que c’est la demande de leurs clients en ce sens qui les a poussés à accepter les paiements numériques.
Toutefois, une transition fluide des espèces vers les paiements numériques nécessite une infrastructure fiable et des processus sans faille, des conditions malheureusement pas toujours réunies. Des propriétaires de petites entreprises et des particuliers ont fait état de leur insatisfaction face aux coupures réseau qui peuvent survenir au beau milieu d’une transaction, laissant place à l’incertitude quant à l’aboutissement du paiement. Il se peut aussi que certains fournisseurs de services de paiement (« FSP ») exigent un code à usage unique (« OTP ») pour authentifier un paiement, mais l’instabilité des réseaux peut entraîner des retards dans sa réception. Face à ces coupures, les utilisateurs moins aguerris, à l’instar de Salimata, peuvent se décourager et choisir de revenir aux paiements en espèces, malgré les risques associés.
Le retour aux paiements en espèces n’est pas la seule issue négative possible. Une autre serait que Salimata paie deux fois. Lorsque le réseau tombe en panne au beau milieu d’une transaction, l’utilisateur ne reçoit pas le message de confirmation. En supposant que le paiement n’ait pas abouti, Salimata pourrait alors régler en espèces ou tenter une nouvelle transaction, avant de se rendre compte qu’elle a payé deux fois. En fonction des politiques du FSP, il peut s’écouler des jours voire des semaines avant que les utilisateurs finaux comme Salimata ne soient remboursés en cas de doublon, si tant est qu’ils le soient.
La fréquence des paiements en double et le délai de résolution diffèrent selon les pays. En Ouganda par exemple, les personnes interrogées ont rapporté que la rectification d’une erreur leur semblait parfois improbable. De tels délais sapent la confiance des utilisateurs et les découragent d’adopter les paiements numériques pour d’autres types de transactions. L’étude menée aux fins du Rapport SIIPS 2024 révèle que, à l’exception de la Guinée, moins de la moitié des personnes interrogées dans les pays sondés ayant rencontré des problèmes lors d’une transaction ont réussi à les résoudre. Cela est particulièrement vrai à Maurice et en Ouganda, où les utilisateurs ont du mal à obtenir une assistance fiable.
A contrario, un service client de qualité saura redresser une situation fâcheuse. En Guinée, la réactivité du service client a permis aux utilisateurs de résoudre rapidement les problèmes liés aux transactions. Savoir qu’une assistance fiable est assurée encourage les utilisateurs à donner une nouvelle chance aux paiements numériques, malgré les perturbations réseau.
Ce qu’il faut retenir : la stabilité est un véritable enjeu !
Les utilisateurs finaux n’ont pas seulement besoin d’un accès à des téléphones mobiles et des réseaux mobiles pour payer par voie numérique n’importe quand et depuis n’importe où. Ils veulent également avoir l’assurance que le réseau sera stable. Les opérateurs de réseaux mobiles et les institutions gouvernementales doivent redéfinir les priorités en matière d’infrastructure, afin de garantir à tous, à l’échelle nationale et régionale, une connexion stable. Il s’agit là d’un facteur clé du véritable essor de l’adoption généralisée des paiements numériques en Afrique.
L’amélioration du service client est tout aussi cruciale. Les FSP doivent disposer d’options de service rapides et efficaces en cas de problèmes liés au réseau. Les opérateurs de systèmes de paiement instantané (« SPI ») peuvent garantir cela en intégrant des principes et des normes de service client dans les règles qui régissent les SPI. Ces règles fixent notamment les attentes concernant la façon dont les FSP participants doivent fournir une assistance et résoudre les problèmes des utilisateurs et sous quel délai. Les utilisateurs seront plus enclins à continuer d’utiliser les paiements numériques s’ils savent qu’ils peuvent obtenir de l’aide rapidement, et ce, même si le réseau n’est pas optimal.
Vous pouvez télécharger l’étude menée auprès des consommateurs aux fins du Rapport SIIPS 2024 et le rapport complet à l’adresse suivante : Rapport 2024 sur l’état des lieux des systèmes de paiement instantané inclusifs en Afrique