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Poser les jalons d’une infrastructure publique numérique dans l’univers des services financiers
par Felista Amagarat, Senior Research Analyst - 27 février 2025
L’infrastructure publique numérique (« IPN ») apparaît comme une force transformatrice de l’inclusion financière. Les Nations unies (« NU ») définissent l’IPN comme un ensemble de systèmes numériques partagés, sécurisés et interopérables, qui repose sur des normes ouvertes à l’échelle de la société, régi par des cadres juridiques de référence et des règles dont la mission est de permettre l’identification numérique, les paiements numériques et le partage de données sur la base du consentement. À l’heure où les nations opèrent un virage vers une économie numérique, les éléments fondamentaux constitutifs d’une IPN que sont les identifiants numériques, le partage des données et les paiements numériques jouent un rôle déterminant.
La mise en place d’une infrastructure technologique solide est bien sûr nécessaire, mais à elle seule, elle demeure insuffisante. Pour que l’IPN puisse jouer pleinement son rôle, il convient également d’adopter une approche bien pensée qui intègre réglementation efficace, infrastructure et gouvernance de sorte que toutes et tous bénéficient des avancées numériques, y compris les populations mal desservies.
Dans cet article, nous allons passer en revue une à une ces trois composantes (réglementation, infrastructure et gouvernance) et détailler également leur rôle dans la mise en place d’une IPN performante. Je commencerai en décrivant comment l’IPN se propose de contribuer au renforcement de l’inclusion financière.
Inclusion financière et IPN vont de pair: quelles en sont les raisons?
L’infrastructure partagée qu’assure l’IPN peut contribuer à favoriser l’inclusion financière grâce à sa capacité à :
- Réduire les coûts de transaction : la baisse des coûts, une fois répercutée sur les utilisateurs finaux, peut contribuer à rendre les solutions de paiement numérique plus accessibles. Cette diminution des coûts peut tout particulièrement profiter aux groupes à faibles revenus ;
- Assurer une plus grande accessibilité : grâce aux canaux numériques, les communautés géographiquement isolées peuvent accéder à de nouveaux services ;
- Simplifier les processus : l’allègement des procédures, à l’instar des exigences applicables en matière de connaissance de la clientèle (« KYC ») ou de l’ouverture d’un compte, peut contribuer à abaisser les obstacles à l’adoption et inciter la population à utiliser des comptes financiers ;
- Améliorer l’expérience utilisateur : des interfaces intuitives contribuent à l’augmentation des taux d’adoption.
L’interconnexion des composantes d’une IPN, à savoir identifiant numérique, données et paiements numériques, a un effet démultiplicateur qui permet d’en amplifier les impacts positifs sur l’inclusion financière par rapport à ce que les paiements ou l’identité numérique par exemple pourraient isolément apporter.
Les trois piliers de l’IPN dans l’univers des services financiers
Trois piliers considérés comme catalyseurs augmentent l’efficacité avec laquelle la couche « paiements » d’une IPN peut contribuer à renforcer l’accès aux services financiers et à leur utilisation. Il s’agit notamment des cadres juridiques et réglementaires, de l’infrastructure et des services auxiliaires ainsi que de la gouvernance et la coordination.
1. Cadres juridiques et réglementaires
Les dispositions juridiques et réglementaires régissant les paiements numériques jouent un rôle essentiel dans la création d’un environnement sécurisé et équitable. Ces cadres précisent la mission des différents fournisseurs de services de paiement et autres parties prenantes, tout en préservant les droits des consommateurs et en favorisant la concurrence.
Les principales questions juridiques et réglementaires sont les suivantes :
- Régulation des fournisseurs de services non bancaires, fintechs comprises: avec l’essor des opérateurs de paiement mobile, la nécessité d’intégrer les des fintechs dans le giron réglementaire du monde financier (sans pour autant nuire à l’innovation) s’est fait sentir. À l’instar des banques, ces entités ont besoin d’être régies par des directives rigoureuses visant à garantir leur conformité aux mesures relatives à la protection des consommateurs et à la lutte contre la criminalité financière;
- Confidentialité et protection des données: des lois exhaustives régissant la gestion des données protègent les informations d’identification personnelle que gèrent les fournisseurs de services de paiement numérique.
- Intégrité financière: des pratiques efficaces, telles que des protocoles KYC rigoureux, sont essentielles pour lutter contre la fraude ;
- Concurrence: la promotion d’un environnement concurrentiel et l’interdiction des pratiques monopolistiques améliorent la qualité de service et donnent naissance à un écosystème regroupant des fournisseurs qui donnent la priorité aux populations mal desservies ;
- Protection des consommateurs : la réglementation doit garantir la transparence des frais des services et de leur destination, mais aussi prévoir des mécanismes de recours en cas de fraude ou d’abus, ce qui permettra aux consommateurs d’avoir le contrôle de leurs transactions numériques.
2. Infrastructure et services auxiliaires
L’IPN repose sur un ensemble de structures support — dont l’infrastructure réseau et les services auxiliaires — qui garantissent l’accès des citoyens aux services numériques et que ces services puissent évoluer au fil du temps vers des fonctionnalités plus avancées que ce que les fournisseurs de services traditionnels sont en mesure de proposer. L’investissement dans des infrastructures inclusives pour atteindre les communautés laissées pour compte, par exemple dans les villages éloignés, est indispensable.
Parmi les services essentiels, citons :
- la connectivité : une connexion mobile et un accès internet généralisés et abordables sont primordiaux. À défaut, les communautés mal desservies ne peuvent prendre part à l’économie numérique;
- la pénétration de la téléphonie mobile: les appareils mobiles, et notamment les smartphones, constituent l’un des moyens les plus fiables d’accéder aux services financiers et d’informations. Cela est particulièrement vrai dans les régions insuffisamment dotées en équipements informatiques traditionnels ;
- l’infrastructure du marché financier: la mise en place de systèmes performants qui assurent la sécurité et la fiabilité des transactions — tels que les systèmes de paiement rapide et les rapports de solvabilité — est indispensable pour inspirer la confiance au sein de l’écosystème numérique.
3. Gouvernance et coordination
La gouvernance est la pierre angulaire d’une transformation numérique pérenne. Il est indispensable de définir clairement les rôles et responsabilités au sein des différentes institutions et de mettre sur pied des organes décisionnaires intersectoriels formels. La collaboration intergouvernementale s’en trouve par ailleurs facilitée. De ce fait, les complexités associées à la mise en œuvre de l’IPN sont amoindries.
Les modèles de gouvernance performants tiennent compte de l’environnement politique, économique et culturel local, ce qui se traduit par des approches personnalisées, pays par pays. À titre d’exemple, citons l’initiative National Joint Solutions de la Norvège, l’identifiant numérique MitID au Danemark et IndiaStack. Chacune de ces initiatives témoigne d’une approche différente de la collaboration public-privé et de l’élaboration d’un cadre. Sous la houlette du Smart Zambia Institute, le cadre de la Zambie régissant l’IPN illustre lui aussi une volonté politique forte et l’accent mis sur l’amélioration de l’e-gouvernance.
Le Partenariat mondial pour l’inclusion financière (Global Partnership for Financial Inclusion – « GPFI ») attire l’attention sur les principes de gouvernance suivants :
- Collaboration public-privé : des partenariats solides entre les entités gouvernementales, les institutions financières et les fournisseurs de technologie sont essentiels à l’efficacité d’une IPN. Main dans la main, les entités publiques et le secteur privé peuvent développer des solutions innovantes pour relever les défis en matière d’inclusivité. Ce faisant, les services numériques sont accessibles à un plus grand nombre d’usagers encore, sont encore plus tangibles pour ces derniers, le bon fonctionnement fluide des offres est garanti et les publics cibles s’en trouvent élargis ;
- Réglementation et surveillance: il est essentiel de trouver le bon équilibre entre innovation et gestion des risques grâce à la conception de cadres réglementaires flexibles et conscients des risques ;
- Conception inclusive: garantir que tous les segments démographiques puissent accéder aux services numériques et en bénéficier doit être une réflexion intégrée dès la conception de l’IPN ;
- Gouvernance des données: l’application de mesures rigoureuses en matière de protection des données est nécessaire à l’amélioration de la confiance et au renforcement de la sécurité des services numériques ;
- Gestion des risques : une approche proactive de la gestion des risques permet de relever les défis opérationnels et relatifs à la protection des consommateurs.

À l’heure où l’IPN redéfinit la prestation des services publics, les gouvernements et les acteurs privés se doivent d’adopter une approche collaborative. Cette approche préconise une conception responsable et des stratégies d’investissement durable, en vue de créer un avenir économique plus équitable pour tous.
Pour donner pleinement vie au potentiel d’inclusivité dont recèle l’IPN, les différents acteurs doivent en premier lieu en poser les jalons : élaboration de politiques et réglementations, mise en place de l’infrastructure et des services auxiliaires pour répondre à la demande des utilisateurs finaux et concevoir des cadres de gouvernance qui garantissent un accès et une prestation de service sécurisés et inclusifs à tout un chacun. En s’engageant à respecter ces principes, chaque nation peut exploiter l’énorme potentiel que présente l’IPN pour améliorer l’inclusion financière et bâtir une société plus équitable.