Articles

Accélérer l’inclusion financière en Afrique : sur la voie de systèmes de paiement instantané inclusifs

par Dr Robert Ochola, PDG AfricaNenda - 29 avril 2025

Dans son petit village reculé de l’Ouganda, Miriam se lève tôt, déterminée à profiter pleinement de sa journée. Ses rêves sont aussi colorés que les tissus qu’elle assemble : acheter une deuxième machine à coudre, embaucher une assistante et transformer son petit atelier en une source de revenus stable pour sa famille.

Pourtant, sans accès aux services bancaires, comme 400 millions d’Africains, Miriam doit affronter chaque jour l’incertitude financière. Faute d’accès aux services financiers formels, elle conserve ses gains dans une boîte en fer, sous son lit. Cette situation l’expose aux risques de vol et de détérioration, sans compter qu’elle ne peut pas faire valoir ses revenus auprès de potentiels prêteurs. Comme Miriam, des millions de personnes voient leurs opportunités compromises et leur potentiel freiné par l’exclusion financière.

Paiements biométriques (comptes), codes QR, banque mobile, paiements, épargne, crédit… Imaginez tout ce que Miriam pourrait réaliser si elle avait accès à de tels services financiers numériques pratiques. Ces outils pourraient lui permettre de gérer ses finances en toute sécurité, de faire prospérer son entreprise et d’offrir un avenir plus radieux à sa famille. Cette vision met en lumière l’urgence de développer une infrastructure financière transformatrice qui va au-delà des systèmes existants.

Tirer des enseignements du passé : l’évolution financière de la Grande-Bretagne

L’histoire nous offre des enseignements précieux pour accompagner l’Afrique sur la voie de l’inclusion financière. Dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle, pendant la révolution industrielle, une grande partie de la population se tournait vers des pratiques financières informelles. Faute d’accès aux outils financiers qui auraient pu les aider à constituer une épargne et, à terme, à accumuler de la richesse, les gens conservaient leur argent sous les planches du sol ou dans des caisses pour argent liquide.

Dans son ouvrage de 1873, Lombard Street, le journaliste et essayiste anglais Walter Bagehot relate comment la Banque d’Angleterre et les banques par actions ont révolutionné le système financier. En instaurant la confiance du public et en offrant un filet de sécurité pendant les crises, elles ont encouragé les citoyens à placer leurs économies dans des institutions financières reconnues. Les résultats ont véritablement marqué un tournant. Entre 1870 et 1890, les dépôts bancaires en Angleterre et au Pays de Galles ont connu une hausse spectaculaire, passant de 150 millions de livres sterling à 400 millions de livres sterling. Ces fonds ont servi à financer l’expansion industrielle, les projets d’infrastructure et le commerce international, permettant à des millions de personnes de sortir de la pauvreté et établissant la Grande-Bretagne comme une puissance économique mondiale.

L’enseignement à tirer est clair : l’inclusion financière est un catalyseur de croissance et une porte d’entrée vers la prospérité.

La révolution de l’argent mobile: des progrès réalisés, mais encore insuffisants

Au début des années 2000, l’Afrique a amorcé une révolution financière similaire avec l’avènement de l’argent mobile. Des plateformes telles que M-Pesa au Kenya et MTN Mobile Money en Ouganda ont permis à des millions de personnes, qui n’avaient jamais mis les pieds dans une banque, d’accéder à des services financiers de base. Ces innovations ont permis de combler le fossé pour les personnes non bancarisées et ont offert une solution de secours à celles qui étaient mal desservies par les banques traditionnelles en raison de frais prohibitifs ou de barrières géographiques. D’après le Global Findex, en 2021, 33 % des adultes en Afrique détenaient un compte d’argent mobile. La GMSA a par ailleurs rapporté qu’en 2023, l’Afrique subsaharienne représentait 65 % des transactions mondiales d’argent mobile, totalisant ainsi plus de 910 milliards de dollars. Faisant écho à ce qui s’est passé en Angleterre au XIXe siècle, l’argent mobile incite de plus en plus d’adultes à épargner en ouvrant un compte.

Malgré ces progrès, l’argent mobile ne bénéficie pas encore à l’ensemble de la population. Nombreux sont ceux qui demeurent sceptiques quant au fait que l’argent mobile offre une meilleure alternative à l’argent liquide, et l’interopérabilité limitée entre les fournisseurs d’argent mobile et les banques compromet son utilité. L’interopérabilité, ou la capacité à effectuer des transactions en toute fluidité entre plusieurs plateformes financières, est cruciale. En effet, les paiements numériques ouvrent souvent la voie à l’accès à des services financiers plus étendus comme le crédit, l’assurance ou encore l’épargne. En l’absence de systèmes inclusifs, l’argent mobile ne peut répondre que partiellement aux besoins de personnes comme Miriam.

La promesse de systèmes de paiement instantané inclusifs

AfricaNenda, une fondation engagée dans la promotion de l’inclusion financière, joue un rôle de premier plan dans le cheminement du continent vers un accès financier universel. Ces dernières années, des avancées significatives ont été réalisées pour favoriser l’inclusion financière à travers l’Afrique. Parmi les réalisations majeures, on compte des partenariats avec la Commission de l’Union africaine (« CUA »), la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (« CEA »), ainsi qu’un travail continu avec les parties prenantes du Rwanda, du Cap-Vert, de la Guinée, du Soudan du Sud et de la région de la CEMAC. Ces efforts ont jeté les bases d’un écosystème financier plus inclusif et interconnecté à travers le continent.

Un des axes de transformation a consisté à promouvoir l’interopérabilité entre les plateformes de paiement. À titre d’exemple, le Ghana a mis en place des systèmes de paiement destinés à doter et mettre en relation les fournisseurs de services d’argent mobile et les banques, permettant ainsi aux utilisateurs de réaliser des transactions en toute simplicité. Combinées à des actions de plaidoyer en faveur de frais de transaction réduits et à des campagnes d’éducation du public afin d’améliorer la littératie financière, ces initiatives veillent à rendre les services financiers numériques accessibles et abordables pour tous, en particulier pour les groupes mal desservis tels que les femmes, les jeunes et les communautés rurales.

Si l’on se tourne vers l’avenir, la prochaine étape pour AfricaNenda et les autres acteurs de l’écosystème des paiements en Afrique est ambitieuse : desservir 260 millions de personnes non bancarisées supplémentaires à l’horizon 2030. Atteindre cet objectif exige une collaboration, une cohésion et un engagement collectif sans précédent. Les facteurs de réussite déterminants qui sous-tendent cet agenda comprennent le renforcement du soutien technique, la stimulation de l’innovation dans les systèmes de paiement, le renforcement de l’intégration régionale, la mobilisation des financements de projets et l’autonomisation des fournisseurs de services financiers locaux. Ensemble, ces facteurs participent à la création d’un cadre solide qui veille à ce que personne ne soit laissé pour compte et libère des opportunités économiques pour des millions d’Africains.

Pour Miriam et d’autres personnes dans sa situation, cette vision se traduit par des opportunités concrètes. L’accès à des portefeuilles numériques interconnectés à des systèmes de paiement interopérables lui permet de développer son activité, d’accéder au crédit et d’atteindre la stabilité financière. À travers son histoire, c’est un avenir plus prometteur qui se dessine, dans lequel les individus et les communautés, grâce à des systèmes financiers inclusifs, peuvent prospérer et participer au développement global du continent.

En mettant l’accent sur l’inclusion et l’innovation, ces efforts marquent un tournant majeur dans l’évolution financière de l’Afrique, un tournant à travers lequel des systèmes porteurs de transformation permettent non seulement l’autonomisation des individus, mais posent aussi les bases d’une croissance économique durable.

Bâtir une Afrique économiquement transformée : le rôle du secteur privé

L’histoire de Miriam constitue un puissant rappel selon lequel l’inclusion financière ne se limite pas à la technologie ; il s’agit avant tout de permettre aux individus, aux entreprises et aux économies de prospérer ensemble. Pour que l’Afrique libère pleinement son potentiel économique, le leadership du secteur privé est indispensable. Les chefs d’entreprise du secteur privé en Afrique détiennent les clés pour accélérer l’inclusion financière, et les actions qu’ils entreprennent aujourd’hui façonneront l’avenir des paiements numériques sur le continent.

Pour concrétiser cette vision, nous appelons le secteur privé à prendre des mesures décisives :

Faire de l’inclusion financière une priorité pour les entreprises : plus qu’une simple responsabilité sociétale d’entreprise, les systèmes financiers inclusifs doivent être vus comme une opportunité stratégique. L’élargissement de l’accès financier peut permettre de débloquer le potentiel de nouveaux segments de clientèle, d’augmenter les sources de revenus et de renforcer la résilience du marché.

Soutenir l’interopérabilité concrète : de nombreux fournisseurs de services financiers continuent d’opérer en silos, ce qui freine les progrès. Montrer l’exemple, en adoptant l’interopérabilité en interne et en plaidant en faveur de normes sectorielles communes, peut contribuer à permettre de réaliser des transactions en toute fluidité et à gagner en efficacité.

Investir dans la confiance des consommateurs et la littératie financière : même les systèmes les plus avancés échouent si les utilisateurs ne leur font pas confiance ou ne comprennent pas leur utilisation. Soutenir les initiatives qui renforcent la confiance dans les paiements numériques, en particulier dans les communautés mal desservies, est fondamental pour favoriser leur adoption et garantir un impact durable.

Stimuler la collaboration et le partage de connaissances : l’écosystème financier prospère grâce à la coopération. Des partenariats plus solides entre les banques, les fintechs, les fournisseurs de services d’argent mobile et les régulateurs contribueront à lever les obstacles et à accélérer l’innovation.

Constituer des groupes de travail à l’initiative du secteur : répondre aux défis persistants de l’inclusion financière nécessite une action collective. Des plateformes dédiées au partage d’idées et à la co-création de solutions pratiques peuvent impulser un changement réel.

S’accorder sur un soutien réglementaire et politique à fort impact : travailler avec les responsables politiques pour favoriser des cadres propices à l’innovation, à la réduction des coûts et à l’élargissement de l’accès façonnera l’avenir de l’inclusion financière.

L’inclusion financière n’est pas seulement un impératif social, c’est un véritable catalyseur économique. Le moment est venu d’agir.


Partager cette page

Dernier blogs