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La marche de l’Éthiopie vers les paiements numériques : tirer parti de la Stratégie nationale 2025 de transformation numérique

par Tewodros Besrat, Expert technique en paiements numériques - 25 juin 2024

L’Éthiopie se lance dans la transformation numérique qui, espère-t-elle, lui permettra d’atteindre ses objectifs de développement et favorisera une prospérité inclusive. La stratégie nationale de transformation numérique, baptisée « Digital Ethiopia 2025 », sert de feuille de route à l’Éthiopie pour façonner son approche. L’un des éléments constitutifs n’est autre que l’écosystème des paiements numériques. Dans cet article de blog, nous allons en premier lieu vous exposer les premières initiatives de l’Éthiopie en vue de promouvoir les paiements numériques. Nous verrons ensuite comment le pays a impulsé une croissance exponentielle des paiements numériques au cours des quatre dernières années, puis conclurons en expliquant en quoi la stratégie « Digital Ethiopia 2025 » pourrait maintenir la dynamique de cet élan.

2014 : phase de test des paiements numériques

L’Éthiopie a commencé à écrire son épopée dans le domaine des paiements numériques en 2014 et 2015, au moment où le pays est revenu sur son programme d’aide alimentaire d’urgence, connu à l’époque sous le nom de « Rural Safety Net Project », un programme gouvernemental de transfert de fonds ciblant les plus défavorisés dans plusieurs régions du pays. Dans sa version révisée, ce programme a testé des solutions d’argent mobile et les points de vente (« PDV ») biométriques, dans l’espoir de moderniser son système de paiement afin d’atteindre plus efficacement ses plus de huit millions de bénéficiaires répartis à travers huit régions, soit environ 8 % de la population à l’époque. Cette phase de test visait également à améliorer l’inclusion financière des personnes défavorisées et vulnérables. Même si le cadre politique et réglementaire de l’Éthiopie n’avait pas encore pris en compte les services financiers numériques et les prestataires de sorte à assurer leur avènement, il a tout de même marqué le coup d’envoi d’un changement révolutionnaire dans la politique et la réglementation du secteur financier en général et de l’univers des paiements numériques en particulier.

2015-2024 : évolutions politiques et réglementaires

La période 2015-2024 a été marquée par l’entrée en vigueur de plusieurs directives et règlements relatifs aux services financiers et aux paiements, entraînant par là même une refonte complète du secteur. Ces outils juridiques avaient pour objet de relever les défis chroniques du pays en matière de développement et de croissance de l’infrastructure financière, à savoir :

  • la connectivité limitée dans les zones rurales, qui entravait l’accès de la grande majorité de la population aux paiements numériques ;
  • les faibles niveaux d’alphabétisation en général et de littéracie financière en particulier globalement observés dans la population ;
  • la confiance limitée du public à l’égard des systèmes de paiement numérique ; et
  • l’absence du cadre politique et réglementaire nécessaire pour permettre la croissance et l’expansion des paiements numériques.

Face à ces constats, le gouvernement a introduit des changements politiques, réglementaires et opérationnels complémentaires, notamment :

  • l’adoption de la directive de 2020 sur les émetteurs d’instruments de paiement, qui a ouvert la voie à l’introduction de l’argent mobile, des portefeuilles numériques et d’autres services financiers numériques similaires en Éthiopie. La directive a en outre introduit un processus de connaissance de la clientèle (« KYC ») à plusieurs niveaux visant à permettre aux établissements non-dépositaires de fonds d’instaurer un processus moins strict pour pouvoir ouvrir des comptes en vue d’y déposer des sommes de faible montant, contrairement aux exigences rigoureuses des banques en matière d’ouverture de comptes ;
  • l’adoption d’une nouvelle directive concernant les opérateurs de paiement, permettant à de nouveaux acteurs de commencer à proposer des services de commutation de paiement, de distributeurs automatiques de billets (« DAB ») et de PDV, ainsi que des services de passerelle de paiement en ligne ;
  • le développement et le lancement d’un commutateur de transaction national (Eth-Switch), qui ont permis l’interopérabilité entre et parmi différents types de prestataires de services financiers (par exemple, les banques, les institutions de microfinance [« IMF »] et les fintechs) ;
  • l’ouverture du secteur financier éthiopien aux opérateurs de réseaux mobiles (« ORM ») et aux fintechs ;
  • l’ouverture de l’univers des ORM et de l’argent mobile à des sociétés étrangères telles que Safaricom, avec son service d’argent mobile M-PESA ;
  • une initiative gouvernementale visant à étendre l’utilisation des paiements numériques de particulier à gouvernement (« P2G ») et de gouvernement à particulier (« G2P ») pour l’achat de carburant, le paiement des factures de services publics et les programmes de transfert de fonds ;
  • le déploiement du programme national d’identification de l’Éthiopie (Fayda), avec des cas d’utilisation dans le secteur financier ;
  • l’ouverture du secteur financier aux prestataires de services financiers internationaux.

Les paiements numériques dans le sillage des réformes

Selon un article publié sur le portail d’informations et d’analyse Resilient Digital Africa (2024), les transactions financières numériques connaissent une croissance rapide en Éthiopie depuis 2019, à la fois en termes de volume de transactions et de valeur, et ce sur l’ensemble des canaux, à savoir les DAB, les PDV, les services bancaires mobiles et les services bancaires sur internet. En juin 2023, les utilisateurs finaux en Éthiopie avaient effectué des paiements numériques d’une valeur de plus de 4 700 milliards de birrs (l’équivalent de 82 milliards de dollars américains). Cela représente trois fois la valeur des transactions numériques effectuées en 2022. En volume, 1 200 milliards de transactions ont été recensées.

L’article souligne que ce sont les transactions de particulier à particulier (« P2P ») qui ont connu la croissance la plus explosive. En juin 2020, aucune transaction numérique P2P n’avait été effectuée via les canaux alors disponibles, mais en juin 2023, on comptait plus de 14 millions de transactions, pour une valeur de 113,3 milliards de birrs (2 milliards de dollars américains). En outre, c’est l’argent mobile qui a connu la plus forte croissance en termes de volume, avec une multiplication par six en un an seulement, passant de 48 millions de transactions en 2022 à 298 millions en 2023. S’il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que les changements politiques et réglementaires sont à l’origine de la croissance des paiements numériques, ces résultats laissent toutefois entendre qu’ils jouent un rôle facilitateur dans le secteur financier.

Appliquer la Stratégie de transformation numérique pour permettre à l’écosystème éthiopien des paiements numériques de prospérer

La Stratégie de transformation numérique ajoute un sentiment d’urgence, de mobilisation des parties prenantes et de coordination des initiatives en cours en vue de développer l’écosystème des paiements et de concrétiser l’inclusion financière. Cette stratégie, qui s’appuie sur une évaluation des lacunes de l’économie numérique et sur des échanges avec les parties prenantes, est en phase avec la vision et les priorités de l’Éthiopie en matière de développement national. L’un des principaux objectifs est d’améliorer la préparation numérique de l’Éthiopie.

Il est ici question de renforcer les infrastructures existantes, telles que la connectivité et le réseau électrique, de développer des systèmes facilitateurs, tels que l’identification numérique, les paiements numériques et la cybersécurité, ainsi que de faciliter les interactions numériques entre le gouvernement, le secteur privé et les citoyens, par le biais de services d’administration en ligne et de plateformes de e-commerce. Par ailleurs, la stratégie a pour ambition de renforcer l’écosystème numérique dans son ensemble, afin d’améliorer l’accès aux investissements, au capital humain et aux cadres réglementaires. La stratégie identifie également des filières sectorielles spécifiques à même de stimuler la croissance numérique dans l’économie moderne. Il s’agit notamment de libérer le potentiel de l’agriculture, de faire progresser la chaîne de valeur mondiale dans l’industrie manufacturière, de développer des services dématérialisés et de tirer parti de la technologie numérique comme moteur de la compétitivité du tourisme.

Pour combler les lacunes sur le plan de la connectivité et atteindre les objectifs en matière de transformation numérique, la stratégie a défini 22 projets à court, moyen et long termes. Des institutions et des parties prenantes désignées piloteront ces projets, afin de garantir la responsabilité et une mise en œuvre efficace.

Indépendamment de la Stratégie de transformation numérique, mais en parallèle de celle-ci, l’Éthiopie s’est également engagée à renforcer l’inclusion financière, par le biais de la Stratégie nationale d’inclusion financière (« NFIS », pour National Financial Inclusion Strategy). La stratégie initiale a été élaborée en 2017 par la Banque nationale d’Éthiopie et est déjà corrélée à une augmentation du pourcentage de la population adulte titulaire d’un compte bancaire, qui est passé de 22 % en 2014 à environ 45 % en 2022. S’appuyant sur les réalisations de la stratégie initiale, la NFIS entre dans une nouvelle phase, avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates. Désormais connue sous le nom de NFIS-II, la stratégie devrait être mise en œuvre entre 2021 et 2025 et mettre l’accent sur les services financiers numériques en tant que moteur essentiel de l’inclusion financière. La stratégie considère également que les services d’argent mobile et les autres produits financiers numériques contribuent à la réalisation des quatre priorités stratégiques : l’inclusion financière numérique, l’inclusion financière dans les zones mal desservies, l’inclusion financière des femmes et la promotion des produits financiers conformes à la Charia. La stratégie adopte une approche en trois étapes de l’inclusion financière, à savoir l’échelle, la profondeur et l’éducation.

En ce qui concerne l’échelle, la stratégie NFIS-II entend faire passer le pourcentage d’adultes titulaire d’un compte bancaire formel de 45 à 70 % à l’horizon 2025. La stratégie se concentre sur divers objectifs du côté de l’offre, tels que l’augmentation du nombre de comptes courants pour 100 adultes, la réduction des écarts régionaux en matière de détention de comptes et l’augmentation du nombre de polices de micro-assurance. Du côté de la demande, les objectifs comprennent l’utilisation accrue des paiements numériques, la réduction des écarts en matière de détention de comptes et la promotion de l’épargne formelle via des approches incluant la conception et le pilotage d’une approche dédiée à l’accès financier et l’expansion des infrastructures financières traditionnelles telles que les succursales des banques et des IMF. La Banque nationale d’Éthiopie assure le pilotage de la mise en œuvre de la stratégie NFIS-II, le Conseil national de l’inclusion financière étant le principal organe décisionnaire responsable des progrès en matière d’inclusion financière. Une structure de gouvernance, comprenant un comité de pilotage de l’inclusion financière et un conseil régional de l’inclusion financière, vise à permettre une coordination et une mise en œuvre efficaces.

La Stratégie nationale de paiements numériques (« SNPN ») pour 2021-2024 fait progresser encore un peu plus les objectifs du programme relatif aux paiements numériques. La SNPN vise à moderniser le système de paiement de détail du pays, à promouvoir l’inclusion financière et à édifier une économie reposant peu sur l’argent liquide. Elle s’inscrit en phase avec le programme de réforme plus global du gouvernement, ainsi qu’avec la stratégie de réforme du secteur financier. La SNPN comprend quatre piliers stratégiques, à savoir, le développement d’une infrastructure inclusive, la promotion de l’adoption des paiements numériques, l’élaboration d’une réglementation et d’une surveillance rigoureuses et le plébiscite d’un environnement propice à l’innovation. Des éléments facilitateurs, tels que des systèmes de paiement efficaces, des initiatives de renforcement des capacités, la coordination avec les politiques nationales et une gouvernance et une surveillance solides, viennent soutenir ces piliers.

En conséquence, les prestataires de services financiers numériques tels que Tele-birr, M-PESA Kacha, Hello Cash, Amole et CBE Birr, pour n’en citer que quelques-uns, révolutionnent les modalités d’accès des habitants du pays aux services financiers, en particulier dans les zones où l’infrastructure bancaire traditionnelle est limitée. Grâce aux portefeuilles numériques et aux solutions de paiement mobile, les particuliers peuvent conserver et transférer de l’argent en toute sécurité via leur téléphone portable. En Éthiopie, ces plateformes ont ouvert de nouvelles perspectives aux personnes qui ne détenaient pas de comptes courants pour participer au système financier formel, s’inscrivant ainsi en faveur de l’inclusion financière. Elles permettent aux particuliers d’épargner de l’argent, d’effectuer des paiements et d’accéder au crédit, avec à la clé une gestion plus efficace de leurs finances.

Ces services financiers numériques ont également le potentiel de stimuler la croissance économique et de promouvoir l’entrepreneuriat. Les petites entreprises, les agriculteurs et les communautés rurales ont davantage de possibilités d’accès à des services financiers abordables et pratiques, tels que les prêts et les assurances, pour soutenir leurs activités commerciales. En outre, la possibilité d’envoyer et de recevoir des fonds par voie numérique peut faciliter la croissance potentielle du secteur du e-commerce, mais aussi renforcer les échanges à l’intérieur du pays, créant ainsi de nouvelles opportunités pour les entreprises et favorisant le développement économique. La SNPN ne vise pas seulement des avantages à court terme, mais s’aligne également sur les connaissances mondiales sur la contribution de la numérisation à des communautés plus fortes, plus sûres et plus équitables, ainsi qu’à un environnement plus durable (PNUD, 2023).

Perspectives

Les perspectives de croissance et d’avancement de l’écosystème éthiopien des paiements numériques semblent plus prometteuses que jamais. Étant donné que le gouvernement a mis en œuvre de nombreuses réformes politiques et réglementaires, le secteur privé fait également montre d’avancées remarquables, en introduisant des produits et des services innovants sur le marché.

En conséquence, la dynamique de l’écosystème éthiopien des paiements numériques s’est accélérée, sous l’impulsion des récents changements politiques et réglementaires. La mise en œuvre réussie de la Stratégie nationale de transformation numérique, ainsi que de la stratégie NFIS-II récemment mise à jour et de la SNPN, devrait catalyser l’économie numérique éthiopienne. Ces initiatives vont non seulement améliorer l’inclusion financière, mais également moderniser l’écosystème des paiements numériques du pays, ce qui fera de l’Éthiopie un pôle majeur de la numérisation sur le continent.


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